Commentaires sur l’article de Henri Atlan paru dans le Monde du 28-29 mars 2010 intitulé

 
L’application abusive du principe de précaution fausse les données qui indiquent un réchauffement de la planète

La religion de la catastrophe

 

Henri Atlan est biologiste et philosophe. Il a publié dans le Monde un long article - près d’une page – où l’on trouve des réflexions tout à fait pertinentes et, à mon avis, de lourdes erreurs qui égarent son jugement. Comme j’ai beaucoup de respect pour Henri Atlan et son oeuvre, j’ai fait une lecture critique de ce texte qui aborde toutes sortes de thèmes et se situe sur des registres de discours très variés. Puis je récapitule les points d’accord et les points de désaccord.

 

On remarquera dès les premières lignes cette phrase : « Heureusement Claude Allègre et d’autres ont commencé à tirer la sonnette d’alarme » contre le « consensus » de la « quasi unanimité de la classe politique sur le climat ». Ensuite vient un développement sur la question des « modèles », ces outils mathématiques qui ont pour objet de simuler la réalité. Les paramètres sont tellement nombreux qu’il est facile de trouver un modèle, c'est-à-dire un ensemble d’équations, qui permet de retrouver par le calcul les températures que l’on a observées, donc de prévoir ce qui se passera. C’est tellement facile qu’il est possible de trouver plusieurs modèles. Cela suffit à montrer que l’on ne peut pas se fier aux modèles. Voilà ce que dit H. Atlan, en se référant, pour faire bon poids, au concept de « sous détermination des théories par les faits ». Ce genre de critique est bien connu et le GIEC y a répondu. Il suffit ici de faire remarquer que personne de sérieux n’a trouvé de modèle qui rende compte du passé récent sans faire intervenir l’effet de serre dû aux émissions de CO2 causées par l’activité humaine. Ce fait aurait pu être mentionné par H. Atlan.

Poursuivant sur sa lancée, H. Atlan parle désormais de « croyance aveugle en la valeur de vérité du modèle ». Il pointe ensuite l’expression « sauvez la planète » et a beau jeu de remarquer que ce n’est pas vraiment la question : mieux vaut se préoccuper de l’avenir des hommes. En cela il a tout à fait raison. De même lorsqu’il s’en prend aux moyens utilisés pour convaincre, qui font appel à l’émotion plus qu’à la raison.

Il revient ensuite sur les modèles. « Il est loin d’être certain que la réduction de production de CO2 soit une mesure efficace pour prévenir le réchauffement global éventuel. On nous dit que malgré les incertitudes et même les erreurs qui ont pu être relevées, les conclusions restent ce qu’elles étaient. Mais cela ne fait que renforcer le doute sur la valeur de ces modèles : ils sont si complexes et sous-déterminés qu’ils conduisent aux mêmes conclusions malgré les modifications non négligeables des données ». Phrase étonnante. Les incertitudes sont réelles et notables et reconnues de tous. Les erreurs existent mais sont minimes. Mettre les unes et les autres sur le même plan est donc une erreur. D’autre part si les modèles donnent des résultats voisins malgré les incertitudes, cela ne diminue en rien leur valeur mais renforce considérablement leur conclusion commune !

Là, l’article change de registre et passe de la critique méthodologique à l’analyse psycho-sociologique sur un ton d’indulgente compréhension. « Il faut reconnaître que l’expertise scientifique en situation d’incertitude est difficile ». Aujourd’hui, il est plus facile pour un expert d’être prophète de malheur, comme Jérémie l’avait bien compris. De plus « le GIEC a été constitué avec une mission bien précise très orientée dès le départ vers ce qui devait être la conclusion de son rapport. Il s’agissait d’évaluer ‘ les informations d’origines scientifique, technique et socio-économique nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au changement climatique d’origine humaine’ ». H. Atlan poursuit ainsi : « on les voit mal dans ces conditions émettre des doutes sur la réalité même de ces risques ainsi définis ». Là, on est sur le registre du procès d’intention. Puis : « Cela aurait constitué, pour le coup, un risque certain d’être déconsidérés et de perdre toute crédibilité aux yeux des instances politiques qui leur demandaient leur avis ». H. Atlan est mal informé. D’une part le GIEC ne fait pas de recherche lui-même mais fait appel à tous les scientifiques qui se manifestent. D’autre part, au contraire de ce que dit H. Atlan, le GIEC a bataillé contre les autorités politiques pour les convaincre de la gravité de la situation. Il aurait été beaucoup plus commode, et pour le GIEC et pour les instances politiques, que l’évaluation demandée au GIEC conclue que les émissions de CO2 n’auraient somme toute que quelques effets bénins.

Ensuite, sans transition on change radicalement d’approche. « Plutôt que de vouloir imposer des mesures qui risquent de mettre en danger le développement de pays en développement (…) au nom de cette nouvelle religion à vocation universelle, il vaut mieux s’attaquer aux problèmes d’environnement locaux, pollution atmosphérique, pollution des mers et des rivières par le surcroît de déchets dû à la surpopulation ». Beaucoup de questions sont évoquées en quelques mots, encore une fois sur des niveaux de discours très différents : la lutte contre les émissions de CO2 ne peut être qu’une « nouvelle religion », « universelle » qui plus est, ce qui évoque la prétention des pays développés à imposer à tous un modèle éthique ; il est affirmé implicitement et sans le début d’une preuve que la lutte contre le changement climatique est incompatible et avec le développement et avec la préservation de l’environnement local sans oublier la question de la « surpopulation ». Toutes ces questions – développement local, pollutions, surpopulation – sont importantes bien sûr et doivent être traitées. Ne sont-elles pas convoquées ici pour « noyer le poisson » ?

Henri Atlan en ajoute une autre : l’épuisement à terme des ressources en énergie fossile. La question de trop ! Lutter contre les émissions évitera carrément l’épuisement des ressources en énergie fossile puisque, selon les conclusions du GIEC, pour éviter un réchauffement catastrophique il faudra laisser sous sol la moitié des ressources accessibles ! Par contre, si l’on ne se préoccupe pas des émissions, la transition ne sera rendue inévitable par l’épuisement des ressources que dans de nombreuses décennies – surtout si l’on sait utiliser les quantités gigantesques d’hydrates de méthane présentes dans les océans. L’épuisement des ressources fossiles ne peut donc pas être un argument suffisant pour consommer moins d’énergie fossile.

Pour diminuer la consommation d’énergie fossile, H. Atlan nous parle des énergies renouvelables et ne mentionne même pas l’énergie nucléaire. Ce silence est impressionnant.

On revient alors sur le terrain de l’analyse philosophique : on reparle de « religion écologique du ‘sauver la planète’ » et des risques de totalitarisme qu’elle recèle, au nom de la « science ». Il faut effectivement dénoncer cette tendance, sans en exagérer le risque, tout de même.

Et l’article se termine en revenant sur le « principe de précaution » qui se détruit lui-même puisque son application présente des risques parfois tout aussi difficiles à évaluer que celui qu’il est censé prévenir. Nous sommes d’accord également sur cette constatation.

La conclusion se livre à une comparaison d’un goût douteux : le pari de Pascal est une application du principe de précaution : de même qu’il est heureux, selon H. Atlan, que l’humanité de l’ait pas mis en pratique, de même, nous dit-il, espérons qu’elle ne suivra pas les nouveaux théologiens de la religion de la catastrophe climatique. Comparer ces « théologiens » à Pascal ! Abstenons-nous de commenter.

 

***

 

D’accord sur :

- Il ne s’agit pas de « sauver la planète » mais de rechercher le bien-être des hommes
- Donner toute son importance au développement économique et social des pays pauvres
- Non à toute religion du climat qui créerait l’obligation morale de changer de comportement ; non au cléricalisme de ceux qui entendent fonder un pouvoir moral sur des conclusions scientifiques.
- Les limites du principe de précaution

 Pas d’accord sur

- la critique des modèles utilisés par les scientifiques
- les procès d’intention faits non seulement au GIEC mais aussi à tous les chercheurs qui concluent aux dangers causés par les émissions de CO2 dues à l’activité humaine
- l’affirmation implicite qu’il est impossible de traiter à la fois du climat d’une part, de l’environnement local, du développement économique et de l’épuisement des ressources fossiles d’autre part
- le silence sur la production d’énergie nucléaire
- prendre argument des limites du principe de précaution pour refuser de prendre des précautions.

 
Conclusion

Il importe de retrouver la raison, d’éviter le sentimentalisme et le moralisme, d’étudier très concrètement les modes de développement économique sobres en émissions de CO2, de se fixer des objectifs globaux compatibles avec le développement économique, notamment celui des pays pauvres.