FORUM CONFIANCE                                                            

Compte rendu de la sixième rencontre du séminaire 

La Confiance et l'incertain : le rôle de l'État 

23 janvier 2003, Ecole des Mines de Paris 

Thème de la réunion :

La confiance dans la valeur des diplômes


- Avec le diplôme, que s'agit-il de signifier ?
- La reconnaissance : académique, professionnelle, sociale
- De la reconnaissance à la valorisation
- Trois modèles - sur trois logiques, à la fois complémentaires et en compétition: le marché, le sacré et la rationalité

Cette rencontre réunissait : Jean-Pierre Dupuy, Thierry Gaudin, Claude Malhomme, Claude Maury, Dominique Moyen, Gérard Piketty, Henri Prévot, Claude Riveline et Jean-Michel Yolin.
A également participé à la réunion Bertrand Girod de l'Ain, invité de Claude Maury.
 

Cette réunion a été préparée par un texte de Claude Maury, "Du crédit attaché aux diplômes et des nouveaux modes mis en œuvre pour constituer celui-ci". A l'issue de la réunion et des discussions qui l'ont meublée, Claude Maury a rédigé une synthèse, que l'on trouve sur le site web de notre forum, sous le titre: "Sur différents modes de construction de la confiance. Le cas des diplômes".

Avec le diplôme, que s'agit-il de signifier ?

Pourquoi le cas des diplômes est-il une illustration, particulièrement riche, bien que spécifique, de la problématique que nous avons mise au cœur de nos travaux ? Parce que le diplôme est de l'ordre du signifiant ou du symbole, qu'il est donc nécessairement plus abstrait, plus concis et moins riche que ce qu'il est censé signifier, et que cette perte de substance pose la question de la confiance, au sens de la crédibilité et de la fiabilité du signe. La confiance est primitivement un lien avec une personne repérée et connue, mais, dans une société complexe s'étendant sur un territoire important, des relais et des tiers sont nécessaires, sous la forme de procédure. Nous rencontrerons cette même question lorsque, dans une prochaine séance, nous chercherons à élucider la notion a priori énigmatique de "confiance dans la monnaie". La comparaison n'est pas si fortuite, si l'on convient de voir dans le diplôme une monnaie d'échange. Lorsque la confiance existe dans le signe, il en résulte une économie cognitive, affective et temporelle appréciable.

Que s'agit-il ici de signifier ?  Essentiellement une trajectoire (efforts réalisés, cursus suivi, etc.) et/ou des résultats, en termes d'acquisition de connaissances et de savoir, mais aussi de capacités et de compétences. Comme le diplôme entend certifier, garantir une certaine réalité qu'il ne fait que signifier, se pose d'emblée la question de la reconnaissance et/ou de la valorisation du diplôme
En forçant le trait, convenons de dire que la "reconnaissance" est une opération en tout ou rien (le diplôme est ou n'est pas "reconnu"), ce qui n'interdit pas une échelle de valeurs, une échelle discrète, alors que la "valorisation", notion qui mord sur celle de reconnaissance, s'inscrit sur une échelle continue et appelle implicitement une connotation pécuniaire.

Il n'est pas indifférent ici de noter les deux modes d'attribution du diplôme, par examen ou par contrôle continu. Dans le premier cas, l'impétrant est mis en face du savoir qu'il est censé avoir acquis et il est jugé par un ensemble de personnes, qui se sont cooptées, qui sont reconnues comme "supérieures" et qui n'ont pas à rendre compte des motifs de leur jugement. Examen ou contrôle continu, la décision du jury n'est pas susceptible de recours.

La reconnaissance

Trois grands types de reconnaissance sont à distinguer.

1) Un diplôme peut être nécessaire pour une poursuite d’étude, ce qui met en jeu une reconnaissance académique. 2) Un diplôme peut être ensuite réclamé, parfois imposé, pour l’accès à une situation professionnelle. Le problème est alors celui de la reconnaissance professionnelle. 3) Un diplôme apparaît enfin comme l’élément d’un statut social, qui vous situe dans une hiérarchie d’études et, au-delà, contribue à construire un rang social.

La reconnaissance académique, longtemps soumise aux principes régaliens de la puissance publique, est de plus en plus déléguée aux organismes de formation et aux institutions académiques elles-mêmes. La reconnaissance professionnelle a subi une mutation au cours du XIXème siècle en raison de l’importance nouvelle des formations préparatoires aux professions (comme les écoles d’ingénieurs) qui a fait de la détention d’un diplôme la clé d’accès à une situation professionnelle. Dans les pays où existait une forte tradition d’organisation professionnelle corporatiste (comme le Royaume Uni), les institutions ont considéré qu’elles se devaient de vérifier la pertinence et le résultat de ces formations, d’où l’invention d’une accréditation professionnelle du diplôme complétée  par une certification de la personne à l'issue d' une période probatoire de formation sur le tas.

Ce modèle, qui exprime un certain rapport de force entre une profession et le dispositif éducatif n'a pas été suivi partout. Ailleurs, on a pu se contenter du sceau de l’Etat pour donner un signe - en principe suffisant - de l’adéquation des formations à leur objet déclaré (France, Allemagne).

Le cas américain est intéressant, en ce que le recours à une procédure d’accréditation (proche dans son inspiration du modèle anglais) a progressivement dérivé, sans grands débats, vers une forme d'autorégulation acceptée par la communauté éducative, assurant l’adaptation continue des formations aux attentes des entreprises. L'accréditation à l'américaine est comme un visa, un gage de confiance qui signale à la profession et au candidat que le programme de formation est sérieux. L'instance qui juge a acquis une habilitation reconnue par l'Etat fédéral. La communauté des formateurs et des diplômés se constitue en associations, qui constituent autant de corps intermédiaires.

Le modèle français s'organise autour de la Commission des titres d'ingénieur, à l'habilitation de laquelle toute formation, en particulier les formations privées, doit se soumettre. Si l'habilitation n'est pas donnée ou renouvelée (tous les six ans), la formation ne peut plus délivrer le titre d'ingénieur . Garantie est ainsi donnée aux employeurs et aux ingénieurs de la valeur de leur titre.
 

De la reconnaissance à la valorisation 

Le système qui tend à garantir la valeur  des diplômes n'est pas statique, il évolue sous la double pression d'une montée de l'enseignement supérieur de masse et de l'accroissement de la mobilité transnationale des candidats aux diplômes. Le sens général de l'évolution est celui d'une autonomie croissante des institutions et d'un désengagement de l'Etat. Ainsi que l'écrit Claude Maury : "On doit admettre que l’on passe graduellement d’une sorte d’économie du savoir administrée, où la formation relevait d’un monopole d’Etat et chaque diplôme d’une garantie officielle forte, mais de portée limitée, à une forme d’économie libérale où s’impose le jeu croisé d’une offre libérée et d’une demande de formations ouverte, qui pose la question du crédit à accorder aux attestations présentées, et qui dérive vers un problème proche de la certification des biens marchands usuels. "

Dans ce contexte, des démarches plus ou moins innovantes s'efforcent d'accroître ou de maintenir le crédit attaché aux diplômes. On peut distinguer:

a) des démarches fondées sur la préservation de la qualité, confiées à des agences de qualité qui contractent avec l'Etat;

b) des démarches d'accréditation confiées à des instances elles-mêmes accréditées par l'Etat;

c) des démarches plus transparentes et différenciatrices qui essaient d'aller au-delà tant de la qualité que de l'accréditation, l'une et l'autre pâtissant du fait qu'elles relèvent du gouvernement des experts. La recherche est celle d'indicateurs beaucoup plus précis, autorisant des classements (démarche de ranking et de rating).

On  peut, plus généralement, distinguer trois logiques, à la fois complémentaires et en compétition: le marché, le sacré et la rationalité. La situation actuelle peut se caractériser par les tensions et les frictions qui naissent des interactions entre ces trois logiques.

C'est l'entrée des diplômes dans le monde de la concurrence transnationale qui conduit les institutions de formation, plus ou moins appuyées par les Etats, à pratiquer des politiques commerciales de promotion de leurs produits et de consolidation de leur image. Le diplôme tend ici à ressembler à une marchandise comme une autre, dont la valeur résulte du croisement d'une courbe d'offre et d'une courbe de demande, qui résultent elles-mêmes d'interventions et de mécanismes où les phénomènes d'influence sont rois: construction de la crédibilité du produit comme on le fait pour une marque commerciale, effets de mode, mimétismes, attirance pour ce qui est difficile d'accès, comme si le prix élevé était un gage de qualité, etc. etc. Les médias, les magazines, quelques agences spécialisées interviennent dans ce jeu, en publiant des indicateurs plus ou moins fiables et en dressant des classements plus ou moins contestés. Il est essentiel ici que les indicateurs soient lisibles par tous les consommateurs potentiels, ce qui interdit les idiosyncrasies nationales ou culturelles. Un modèle universel tend à se mettre en place, qui tend à coller à celui du plus fort (et, peut-être, du meilleur), c'est-à-dire le college et l'université de type américain.

Dans cette logique concurrentielle, la marque constitue le cœur de la confiance, elle s'évalue en termes comparatifs. C'est dans ce cadre que l'on peut vraiment dire que le diplôme est une monnaie d'échange. Ni la démarche qualité ni l'accréditation ne permettent, par contraste, de jouer efficacement le jeu de la concurrence transnationale (comme l'atteste le contre-exemple de l'accréditation allemande, dont la coloration nationale est fortement marquée). A l'opposé de ce modèle se situe la logique du sacré, qui tempère ce que l'universalisme du marché peut avoir de réducteur, voire de superficiel. Bien qu'il s'agisse d'une sacralisation laïque et que la crédibilité de l'adoubeur principal, l'Etat, soit elle-même de plus en plus en question, la logique du sacré a encore de beaux restes, en particulier dans notre pays. Autant le marché tend à ignorer les frontières et à gommer tout ce qui est de l'ordre de l'affectif, autant le modèle "républicain" fait fond sur les particularités locales et fait jouer pleinement les rituels initiatiques chargés d'affects (fierté d'appartenir à une élite signifiée par le diplôme, sentiment d'avoir mérité son statut, etc.). Il est bien connu que dans le monde du sacré, les prophéties ou représentations auto-réalisatrices ont le champ libre: ce n'est parce qu'un signe a de la valeur qu'il est  désiré, mais bien parce que tout le monde le désire qu'il a de la valeur. Mais le marché ne connaît-il pas, sous d'autres formes, des mécanismes analogues?
 

Trois modèles

L'accréditation, qui fait l'objet d'un choix binaire, reprend ici ses droits. On pourrait dire que la logique de marché sanctionne la notoriété et classe toutes les formations les unes par rapport aux autres, tandis que l'Etat, ou l'instance qui accrédite tout en étant elle-même accréditée par l'Etat, garantit une qualité minimale, mais ce serait masquer la concurrence de plus en plus vive entre les deux modèles. Cependant, un troisième modèle, qui se veut "rationnel", car fondé sur une évaluation précise accessible à l'usager (rappelons à ce propos que la Commission française des titres ne rend pas publique les évaluations qui sous-tendent ses décisions), tend par ailleurs à émerger et à prendre de l'importance, car il correspond à une exigence croissante de transparence. La tendance est d'ailleurs de ne pas se contenter d'évaluer le diplôme, mais bien l'individu qui en excipe. De redoutables questions de métrologie se posent alors. Le désir de "transparence" pose lui aussi des questions difficiles : n'est-ce pas une quête sans fin qui entretient et exacerbe l'insatisfaction ? Après avoir demandé aux membres des commissions du titre de justifier leurs décisions, n'interrogera-t-on pas les membres des jurys d'examen, puis ceux qui établissent les critères du "rating" ou du "ranking" sur les motivations de leur choix ?
 

On le voit, la discussion du cas des diplômes nous conduit à revisiter des questions que nous avons déjà amplement abordées. On pourrait dire que le triangle auquel nous aboutissons correspond à trois manières paradigmatiques d'aborder la question de la génération de la confiance: recours à un Tiers transcendant (logique du sacré); phénomène d'émergence (logique de marché); et la solution "rationnelle - sceptique", qui entend se passer autant que faire se peut de médiations forcément opaques. Cependant, comme nous l'avons vu dans notre séance précédente, la métrologie, loin d'éliminer le recours à la confiance, repose elle-même à nouveaux frais toutes les questions dont elle est grosse.