« Le mythe climatique » de Benoît Rittaud,

Seuil, collection Science ouverte, février 2010

Notes de lecture et commentaires

 

Ce livre est écrit par « un mathématicien, auteur de nombreux ouvrages de mathématiques à destination d’un large public » nous dit la quatrième de couverture. Le livre se présente, sous un jour d’objectivité de bon aloi, comme un appel à la vigilance et au sens critique. Il analyse les ressorts de quelques-unes des affirmations qui fondent ce qu’il appelle le « carbocentrisme », cette thèse qui estime que le gaz carbonique contribue significativement au réchauffement de l’atmosphère. Comme la collection qui l’édite est de qualité, il m’a paru intéressant de lire comme son auteur aborde les thèses du « carbocentrisme » : avec esprit critique.

Le livre commence et se termine fort bien. Le rappel historique sur l’affaire des « canaux » de la planète Mars invite à se méfier des emballements fondés sur des interprétations hasardeuses de ce que l’on observe. Puis l’auteur présente de façon parlante les « armées » en présence dans le combat d’opinion au sujet de l’influence sur le climat des émissions de gaz carbonique dues à l’activité humaine : carbocentristes », « solaristes », « océanistes », géologues et mathématiciens. De mon point de vue, il est heureux que, dans ces matières compliquées, le débat soit vivant et que les hypothèses se multiplient. C’est ainsi que progresse la science.

On entre ensuite dans le vif du sujet. Le chapitre sur la façon dont on a été dessinée la fameuse courbe en forme de crosse de hockey qui montre une très forte croissance des températures après plusieurs siècles de stabilité me paraît assez convaincant. Le livre explique clairement les artefacts qui ont conduit à cette courbe. D’ailleurs, le GIEC ne l’utilise plus. L’apparente stabilité des températures mondiales moyennes qui apparaissait sur cette courbe conduisait à considérer que les fluctuations de températures observées en Europe durant le deuxième millénaire étaient seulement régionales. B. Rittaud remarque que la remise en cause de la « crosse de hockey » ne permet pas de conclure que ces fluctuations étaient mondiales. En fait, faute de mesures, on n’en sait rien. A ce propos j’ajouterai que l’on a retrouvé récemment des écrits qui témoignent que le mot de « Groenland » ne signifie pas que le pays, à l’époque, était vert ; le terme a été choisi par ceux qui ont découvert ce pays pour inciter leurs compatriotes à venir s’y installer (une antiphrase en quelque sorte).

Puis Benoît Rittaud conteste l’idée même d’une température moyenne de la basse atmosphère –celle où vivent les hommes. Mais cette contestation, au fond, n’apporte pas grand-chose. Tout le monde en effet sait qu’il est difficile de mesurer une température moyenne. On se doute aussi que le résultat dépend de la façon de calculer la moyenne. Il est clair également que la température moyenne ne donne aucune indication sur ce qu’il faut faire localement pour réagir à l’évolution des températures puisque celles-ci sont très différentes d’une région du monde à l’autre. Rien de cela n’est nouveau. Mais pour savoir si les émissions de CO2 ont un effet sur les températures, ce qui importe, ce n’est pas la valeur absolue des températures, c’est l’évolution de la température moyenne. Certes, on peut trouver des configurations où la moyenne évolue dans un sens ou dans l’autre selon la façon dont elle est calculée, mais il faut pas mal d’imagination pour y parvenir. Personne ne doute que la température moyenne a augmenté dans les dernières décennies – pas même B. Rittaud malgré ses longs développements sur la pertinence de cette notion de température moyenne. Il écrit (p. 93) : «  Si cette idée que la ‘température globale’ telle qu’on la considère aujourd’hui est donc trop mal définie pour qu’on puisse l’utiliser aveuglément, on ne peut pour autant lui dénier toute valeur. Un élément parmi d’autres dans ce sens est la théorie solariste : s’il s’avère que la courbe de l’activité solaire est corrélée à celle de la ‘température globale’, alors cela prouvera bien que cette dernière possède une signification » -fin de citation ; je poursuis « tandis que si elle est corrélée aux émissions de CO2, elle n’en a pas ». On retrouve en plusieurs endroits des « dérapages logiques » de ce genre.

Puis vient la critique de ce que B. Rittaud considère comme « l’un des points centraux du carbocentrisme », la corrélation entre la teneur du CO2 de l’atmosphère et la température durant les derniers millénaires. La corrélation est très forte ; les dernières observations montrent que les variations de teneur de CO2 suivent de 800 ans les variations de température. B. Rittaud estime que devant des phénomènes compliqués, les explications les plus simples sont les meilleures, selon le procédé du « rasoir d’Occam ». Pourquoi donc, se demande-t-il aller chercher l’hypothèse que le CO2 a un effet sur la température ? L’action du soleil fluctue, cela a un effet sur la température et les fluctuations de la température ont un effet sur les émissions de CO2. Un point c’est tout. C’est tellement plus simple que c’est probablement vrai. A-t-il lu par exemple « L’homme face au climat »[1] édité en 2006, p.41[2] ? La cause originelle est la modification des paramètres astronomiques mais les effets directs de cette cause n’expliquent pas les évolutions de température. Il faut donc imaginer des rétroactions positives. La modification de l’albédo (la réflexion de la lumière par les glaciers notamment) ne suffit pas non plus ; il faut autre chose. Supposer que les émissions de CO2 changent lorsque la température change et que ces émissions ont elles-mêmes un effet sur les températures est une hypothèse assez banale qui doit donc résister au rasoir d’Occam, semble-t-il.

Remarquons que B. Rittaud écarte cette hypothèse mais ne dit pas comment faire le lien entre les effets directs des paramètres astronomiques et les fluctuations de température observées.

A ce propos, un bref commentaire sur un procédé littéraire de B. Rittaud. Après avoir présenté le cas de deux courbes corrélées dont l’une, en gris, suit l’autre de peu, B. Rittaud écrit ceci p 95  - « nous allons à présent nous intéresser à une idée en apparence quelque peu saugrenue qui propose ceci : c’est la grandeur représentée en gris qui contrôlerait l’autre ». Il apparaît ensuite que la courbe en gris est la concentration en CO2 et l’autre est la température. Que veut dire « contrôler » ? En fait la question n’est pas de savoir si le CO2 « contrôle » la température mais si le CO2 a un effet sur la température. De plus, avant toute analyse, l’idée d’une rétroaction positive via le CO2 est déclarée « saugrenue ».

On change alors de registre pour parler de la notion de probabilité. Le pari de Pascal est analysé et critiqué. On peut se demander ce qu’il vient faire ici. En tout cas cela permet de se rendre compte que B. Rittaud tombe dans le travers qu’il prête aux « carbocentristes ». Il entend démontrer que ce pari ne doit pas conduire à se comporter, si l’on n’a pas la foi, comme si Dieu existait. La preuve : « dans le cas du pari pascalien, notre multiplication de zéro par l’infini vaut…zéro » et, en note : « une façon de s’en convaincre consiste à envisager le produit de deux nombres a et b comme l’aire d’un rectangle de côtés a et b. Lorsque a vaut zéro et b l’infini, le rectangle devient une droite, qui n’englobe aucune surface, d’où la nullité de l’aire et, donc, du produit ». Quelle belle démonstration ! Voici un contre-exemple bien connu des élèves de terminales. Si a si vaut k fois t au carré et si b vaut h divisé par t, lorsque t va vers l’infini, a tend vers l’infini et b tend vers zéro. Le produit, qui vaut kh fois t, tend vers l’infini et non pas vers zéro Qu’un mathématicien pense river son clou à Pascal avec un raisonnement comme celui que nous tient B. Rittaud ! Tout se passe comme si son raisonnement était guidé par la conclusion qu’on veut lui trouver.

Puis, B. Rittaud rappelle qu’il faut comparer le coût de l’action à celui de l’inaction, ce qui est assez évident. En fait tout ce chapitre sur les probabilités n’apporte pas grand-chose.

Sur la valeur prédictive des modèles on lit ceci, p.149 : « Un des arguments présentés pour soutenir la fiabilité des modèles climatiques est que tous, c'est-à-dire une vingtaine, sont d’accord pour prévoir le réchauffement. ‘Personne n’est parvenu à mettre au point une expérience numérique crédible conduisant le système climatique à ne pas se réchauffer en réponse à l’augmentation des gaz à effet de serre’ a par exemple écrit Hervé le Treut. Tel quel l’argument n’est pas sans intérêt mais cet intérêt change du tout au tout si l’on remarque que ces lignes ont été écrites en 1997, peu de temps avant que la courbe de température globale se mette à stagner ! ». Fin de citation.

L’ensemble des modèles ne donne pas une prévision certaine mais un faisceau de possibilités. Au début des années 2000 les températures observées sortaient de ce faisceau de possibilité par en haut au point qu’il aurait fallu, si cela continuait, remettre en cause les modèles. Je me souviens avoir fait cette remarque dans une réunion assez vaste animée par des météorologues, à quoi il m’a été répondu que l’on ne pouvait juger sur quelques années. En fait, la pause dans la hausse fait rentrer les températures dans le faisceau des possibilités calculées par les modèles. L’argument de H. Le Treut conserve donc tout « son intérêt », pour reprendre l’expression de B. Rittaud.

A noter un autre procédé littéraire de B. Rittaud : il parle d’abord de « stagnation » des températures dans les dix dernières années, puis évoque en même temps une baisse (on peut observer une très légère baisse selon la façon dont est calculée la température), puis il ne parle que d’une baisse. Par ailleurs, il fait d’abord remarquer que cette stagnation sur dix ans n’est pas significative, puis il s’y réfère à mainte reprise en oubliant cette réserve.

Le chapitre final traite des pseudo sciences, de l’utilisation à des fins de morale de données venant de l’observation scientifique. Ce chapitre est intéressant et, en gros, je suis d’accord avec ce qu’il en dit. Les « carbomanciens » doivent être combattus, au même titre que les « sceptomanciens », une sorte que B. Rittaud évoque sans employer cette dénomination ni donner le nom de personnes représentatives de cette obédience.

 

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Au total, que retenir de ce livre ?

Des considérations intéressantes sur la relation entre la recherche scientifique et la société. Un rappel à la prudence. Il montre « à l’insu de son plein gré » que cette prudence doit s’exercer à l’égard de tous et de soi-même. J’ai dit en effet comment B. Rittaud s’est laissé aller à des approximations et même des contradictions. Il entend « déconstruire » les arguments de ceux qu’il appelle les « carbocentristes ». Il y parvient sur la courbe en crosse de hockey, mais c’est une victoire tardive car la cause est entendue par tous, y compris le GIEC, depuis un moment. Pour le reste, tout au plus il jette un doute mais il ne propose rien de construit et, de plus en plus nettement, entend convaincre que l’on peut expliquer le réchauffement sans tenir compte du CO2 anthropique. Se disant « sceptique », il se montre en réalité fort convaincu. Ce faisant, tant par son silence que par ce qu’il dit, il se contredit. Je m’explique.

Voici en deux mots le fonctionnement de l’effet de serre. Une molécule de CO2 ou de vapeur d’eau qui reçoit un rayon infrarouge venant du sol l’absorbe et le réémet dans toutes les directions. Toute l’énergie est ainsi réémise et absorbée dans l’atmosphère tant que la teneur en CO2 et autres gaz à effet de serre est supérieure à une certaine valeur. Si la teneur est inférieure à ce seuil, l’énergie s’échappe de l’atmosphère ; cela se passe dans la troposphère. Lorsque la teneur moyenne de l’atmosphère en CO2 augmente, l’altitude à partir de laquelle l’énergie infrarouge s’échappe s’élève, Or, dans la troposphère la température baisse lorsque l’altitude augmente. Pour que la quantité d’infrarouge qui repart dans l’espace soit suffisante pour évacuer toute l’énergie reçue par la Terre du soleil, il faut donc une augmentation de la température à l’altitude de fuite de l’infrarouge. Comme la relation entre la température de la troposphère et la température à la surface du sol ne dépend pas de la teneur en CO2, la température à la surface du sol augmente elle aussi. N’est-ce pas simple ? Infiniment plus simple en tout cas que les explications proposées par d’autres, les « solaristes » par exemple qui supposent que le vent solaire balaie le vent des particules cosmiques qui elles-mêmes ont un effet sur la formation des cirrus d’altitude qui eux-mêmes ont un effet sur l’éclairement donc sur la température – tentative d’explication reconnue comme largement insuffisante au vu des résultats de l'expérience Cloud menée au CERN ? B. Rittaud oublie que, quelques pages plus tôt, il a cru efficace d’utiliser ironiquement le « rasoir d’Occam » pour se défaire d’explications qui le gênaient en invoquant le motif qu’elles sont, selon lui, trop complexes.

Après avoir terminé cette lecture et pour faire écho en quelque sorte à l’apologue qui commence ce livre, on peut proposer cet autre apologue.

Un jeune couple doit acheter une voiture pour accompagner ses enfants à l’école. Leur budget les oblige à acheter une voiture d’occasion. Chez le vendeur de voitures, ils en voient deux apparemment identiques en tout point ; l’une coûte 1000 € de moins que l’autre. Ils s’accordent pour la choisir mais le vendeur leur dit : « je dois vous prévenir que cette voiture présente un défaut. Il y a une chance sur deux qu’elle s’embrase brutalement ; on ne sait pas d’où vient le défaut ; les chercheurs continuent de chercher. Si elle s’embrasait, ce serait si rapide que vous auriez du mal à en extraire à temps vos enfants ». Notre jeune couple choisit évidemment de dépenser 1000 euros de plus.

Il y a un point sur lequel je suis bien d’accord : éviter que le pouvoir politique utilise l’effet de serre et le réchauffement climatique pour nous « faire la morale ». Le rôle des pouvoirs publics est en effet de préserver les conditions de la sécurité publique, de la santé publique et de la cohésion nationale. Qu’ils laissent aux moralistes, aux prêtres, aux imams et aux rabbins le soin de nous aider à traduire cela en termes de morale. Autre point d’accord : il faut travailler à la cohérence du discours et de l’action entre réchauffement climatique et développement des pays pauvres.

Mais B. Rittaud n’avance pas d’arguments qui convainquent d’abandonner l’idée que les émissions de gaz carbonique ont un effet significatif sur l’atmosphère ; rien non plus pour justifier de ne pas prendre de précaution. Plus grave : comme je l’ai montré, il se contredit lui-même et pratique, volens nolens je ne sais, la désinformation. Dans un ouvrage qui se présente comme scientifique et pondéré, c’est plus que regrettable.



[1] « L’Homme face au climat » Collège de France sous la direction d’Edouard Bard – Odile Jacob.

[2]  que j’ai cité dans « Trop de pétrole ! »(Seuil) p.21